« Après ses propos de 1987, Jean-Marie Le Pen avait été condamné à 1,2 million de francs d'amende (183 200 euros). »
Cette assertion, bien entendu, est fausse puisque, dans la « première affaire du détail », qui trouve son origine dans une déclaration du président du Front national le 13 septembre 1987 au micro du Grand Jury RTL-Le Monde, il n'y a jamais eu de sanction pénale (la peine d'amende, à ma connaissance, étant un privilège des juridictions pénales).
La « première affaire du détail » a certes été examinée par la justice française, mais devant des juridictions civiles :
- tout d'abord en référé, le 23 septembre 1987, devant le Tribunal civil de Nanterre, qui condamnait Jean-Marie Le Pen à verser un franc de dommages-intérêts à chacune des parties civiles, le MRAP et à la LICRA, ainsi qu'au règlement des frais de diffusion, sur l'antenne de RTL, d'un extrait du jugement ;
- le 23 mai 1990, le même tribunal statuait cette fois sur le fond, et maintenait les dommages-intérêts à une somme d'un franc versée à chacune des parties civiles (cette fois au nombre de dix, y compris le MRAP et la LICRA), ainsi qu'au versement, à chacune d'entre elles, au titre de ce qui était encore appelé, à l'époque, l'article 700 du « Nouveau code de procédure civile », une somme de 4 000 francs, sans parler de l'insertion (non chiffrée dans ma source) du jugement dans deux hebdomadaires et dix quotidiens nationaux et régionaux ;
- Jean-Marie Le Pen ayant interjeté appel, ce fut la chambre civile de la cour d'Appel de Versailles qui eut à examiner l'affaire. L'arrêt prononcé le 18 mars 1991 condamnait cette fois le président du Front national à verser :
- au titre des dommages-intérêts, 10 francs au MRAP et 100 000 francs à chacune des neuf autres parties civiles ;
- au titre de l'article 700, 1 000 francs à chacune des dix parties civiles ;
- aux dépens, non chiffrés non ma source ;
- enfin, à des insertions payantes dans la presse, à concurrence de 30 000 francs dans cinq hebdomadaires et de 15 000 francs dans cinq quotidiens.
On peut certes plaider l'erreur de bonne foi, mais on peut aussi se souvenir que la Charte des devoirs professionnels des journalistes français, publiée en 1918 et révisée une vingtaine d'années plus tard, dispose qu'un « journaliste digne de ce nom » tient la déformation des faits comme une grave faute professionnelle, tandis que la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes, adoptée en 1971 et dont se réclame le Syndicat national des journalistes, stipule quant à elle que le journaliste se doit de « respecter la vérité », et en « en raison du droit que le public a de connaître », mais encore qu'il se doit de « rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte ».
Je crains que ces textes déontologiques ne soient hélas souvent perdus de vue. On peut aussi envisager une autre piste : les écoles de journalisme essaient-elles seulement d'apprendre à leurs élèves à faire preuve d'une capacité de raisonnement, et à distinguer au premier coup d'œil ce que même une personne sans bagage juridique est capable de percevoir instantanément ?
Quoique, dans le cas du journaliste du Figaro, compte tenu de son âge apparent (la cinquantaine bien entamée, à première vue), je doute qu'il ait subi les lavages de cerveau et formatages propres aux jeunes générations de journalistes... Il ne s'est peut-être tout simplement pas soucié de vérifier ses sources et de les corroborer.
On peut hélas supposer que la multiplication anarchique des supports de presse aggravera le problème, en induisant la production à la chaîne d'esprits préformatés là où, dans les décennies passées, se formaient sur le tas des générations de journalistes de qualité...
Complément (1er mai 2008) : cette fois, c'est une dépêche en français de l'agence Reuters, sous la plume de Gérard Bon, reproduite entre autres sur lexpress.fr, qui tente d'accréditer la fable d'une « amende de 183 000 euros », en conclusion d'un article titré « Jean-Marie Le Pen nie tout désaveu de la part des cadres du FN », dans les termes suivants, tout aussi inexacts que ce qu'avait précédemment écrit Olivier Pognon dans les colonnes du Figaro :
« Le parquet de Paris a fait savoir qu'il étudiait la possibilité de poursuivre sur le plan pénal le président du Front national, déjà condamné à 183.200 euros d'amende pour ses premières déclarations sur le sujet en 1987. »
Complément (3 mai 2008) : enfin, et « grrr... », une dernière variante, cette fois sous la plume de Camille-Marie Galic, directeur de la publication et de la rédaction et éditorialiste de l'hebdomadaire Rivarol qui, dans un article titré « Le retour du “détail” », publié en page 2 du numéro 2856 daté du vendredi 2 mai 2008, nous relate au détour d'un paragraphe que
« C'est oublier surtout que, pour avoir exprimé en 1987 sa vision de la seconde guerre mondiale, [...], Le Pen avait écopé de 1,2 million de francs d'amende et de dommages et intérêts (183 200 euros). »
Le festival continue, ce mardi 6 mai, avec une dépèche de l'AFP, titrée « “Détail de l'histoire”: ouverture d'une enquête préliminaire contre Le Pen », avec ce morceau de bravoure :
« Jean-Marie Le Pen avait été condamné en 1987 à 1,2 million de francs (183.200 euros) d'amende pour de premières déclarations sur le "détail" des chambres à gaz. »
Morceau de bravoure où, non content de répercuter l'ânerie propagée telle une gastro-entérite en hiver, le journaliste ajoute l'erreur complémentaire sur l'année, puisque 1987 correspond à l'année au cours de laquelle Le Pen fit ses déclarations au Grand Jury RTL-Le Monde, tandis que la fameuse condamnation, elle, n'est intervenue qu'en 1991...
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