mercredi 4 août 2010

BHL et les trois erreurs de Nicolas Sarkozy

Je dois être malade, puisque, après avoir très récemment approuvé les propos de Jack Lang en réaction à la décision du Conseil constitutionnel de censurer à terme cinq articles du code de procédure pénale relatifs à la garde à vue de droit commun, voilà que je me surprends à approuver les propos du philosophe Bernard-Henri Lévy, dans les colonnes du Monde, aujourd'hui (numéro daté du 5 août), au sein d'une tribune intitulée « Les trois erreurs de Nicolas Sarkozy ».

Dans cette tribune, BHL, que j'ai toujours trouvé, j'ignore pourquoi, extrêmement antipathique, dénonce trois choses :
  • la convocation à l'Élysée, le 28 juillet, d'une réunion censée aborder « la situation des Roms et des gens du voyage », et dans laquelle il voit implicitement une stigmatisation coupable de cette communauté, quelles que puissent être les erreurs individuelles de certains membres d'icelle, et sans que quiconque ait eu l'idée d'y inviter au moins un représentant des Roms ;
  • le discours martial de Nicolas Sarkozy à Grenoble, le 30 juillet, à l'occasion de l'installation du nouveau préfet de l'Isère, prétexte à d'ahurissantes propositions de modifications du code de la nationalité, qui ont toutes les chances d'être retoquées par le Conseil constitutionnel ;
  • et enfin l'usage, au cours du même discours, du terme « guerre » par le locataire de l'Élysée, ce qui témoignerait, selon le philosophe, d'un risque, par la dramatisation des choses, de la distillation dans le pays, par celui qui est censé assurer la cohésion du corps social, d'une « autre sorte de tension, de fièvre, peut-être de peur et, au fond, d'insécurité ».
Je ne résiste pas, pour finir, à une longue citation des deux paragraphes de conclusion écrits par BHL, puisqu'ils me semblent apporter une conclusion éclatante à l'ensemble de son propos :
Monter aux extrêmes donc, tenir le langage de la déchéance, de l'œil pour œil dent pour dent et de la guerre : ce ne sera jamais que la version sophistiquée du tristement fameux « casse toi, pauv'con » — et, l'exemple venant d'en haut, les comportements des citoyens s'indexant mystérieusement mais constamment sur ceux des princes, c'est la garantie d'une société fiévreuse, inapaisée, où chacun se dresse contre chacun et où le ressentiment et la haine seront très vite les derniers ciments du contrat social.

Ou éviter le piège, cesser de faire assaut de déclarations fracassantes, prétendument viriles et qui ne font, je le répète, que souligner l'impuissance des Etats, sortir, en un mot, du rang des matamores et de leur bouillante passion pour la rivalité mimétique et l'esprit de revanche – et s'en aller fouiller dans l'autre corps, celui qui, selon l'historien américain Ernst Kantorowicz (1895-1963), est fait, non de passion, mais de distance, pour y puiser audace, fermeté, mais aussi sagesse, finesse, mesure et, surtout, sang-froid. Ce sont, en la circonstance, les seules vertus qui vaillent. Mais ce sont celles dont Nicolas Sarkozy paraît, hélas !, ces jours-ci, le plus tragiquement dépourvu.

Edit du 4 août vers 18:20 (CEST) : Quitte à jouer au jeu de la citation, Bernard-Henri Lévy eut pu tout aussi bien citer, dans un registre pourtant très différent de prime abord, les propos de l'historienne italienne Benedetta Craveri qui, dans sa préface à la réédition, en 1993, du livre Vie privée du maréchal de Richelieu: contenant ses amours et intrigues, et tout ce qui a rapport aux divers rôles qu'a joués cet homme célèbre pendant plus de quatre-vingts ans (mémoires apocryphes du cardinal), de Louis-François Faur (éditions Desjonquières, coll. « XVIIIe siècle », Paris, 1993, 190 p., ISBN 2-904227-74-1), écrivait à propos de l'histoire, qu'elle était un
« vaste théâtre sur lequel, de génération en génération, une dynastie d'acteurs privilégiés avait accès aux mêmes rôles : le courtisan, le politique, le diplomate, le soldat, l'homme du monde. Y parvenir était le fruit de la volonté et de la discipline exigeant ambition, finesse, pénétration, endurance et audace. Les bien remplir réclamait du talent. ».
Les deux dernières phrases, à mon avis, prennent aujourd'hui une singulière résonnance, même si, de fait, elles ont probablement une pertinence intemporelle...

dimanche 1 août 2010

Mougeotte, Le Figaro, @rrêt sur images... et Wikipédia

Je rapportais, il y a quelques heures, en annexe de mon billet « LeFigaro.fr, le Conseil constitutionnel et la garde à vue », l'existence d'un communiqué de la Société des journalistes du Figaro, diffusé autour du 21 juillet, et qui semble avoir été initialement publié — ou simplement évoqué — dans les colonnes du Canard enchaîné, si l'on en croit le site @rrêt sur images, qui en fait la matière d'une brêve, le 22 juillet, titrée « Figaro / PV tronqué Thibout : les journalistes contre Mougeotte ».

Là où ça se corse, c'est que @rrêt sur images semble commettre une grossière erreur, en attribuant à la SDJ des accusations contre Étienne Mougeottte (accusations non vérifiées et orientation de témoignage), alors que tout laisse à penser que, en réalité, le communiqué du SDJ, s'il fait trois effectivement reproches au directeur des rédactions du Figaro :
  • avoir publié un « PV tronqué (...) assorti d’un article non signé, qui participait à l’évidence de la stratégie de communication élaborée à l’Elysée ,
  • avoir lui-même (Étienne Mougeotte) reproché à Mediapart d'avoir « dérogé à deux règles de l'art » (publication d'accusations non vérifiées et orientation d'un témoignage),
  • ne pas avoir impliqué les journalistes Cyrille Louis et Mathieu Delahousse, chargés du suivi de cette affaire, dans la vérification des informations que la SDJ tient pour téléguidées par l'Élysée.
Voici comment cela se présente encore à l'heure actuelle sur arretsurimages.net, dans la brêvbe « Figaro / PV tronqué Thibout : les journalistes contre Mougeotte » :
[...] Dans un communiqué cinglant, repris par Le Canard enchaîné du 21 juillet, la SDJ dénonce "un PV tronqué, assorti d'un article non signé, qui participait à l'évidence de la stratégie de communication de l'Elysée". Mougeotte est directement mis en cause : "Il a publié des accusations sans les avoir vérifiées. Il a orienté le témoignage de l'ancienne comptable pour lui faire dire autre chose que ce qu'elle voulait dire". Par ailleurs, la SDJ regrette que les journalistes en charge du dossier n'aient "pas été avertis du scoop sur lequel la direction venait de mettre la main".
La première partie était conforme au communiqué intégral, tel que je l'ai trouvé à deux endroits sur le Web et conforme aussi au compte-rendu fait par la journaliste Julie Saulnier, qui a fait un article sur le sujet, le 26 juillet, sur le site Lexpress.fr. J'ai mis en emphase grasse la partie du communiqué interprétée de façon erronée par @rrêt sur images.

Là où cela devient encore plus gênant, c'est lorsqu'on voit la chose, il y a trois heures, plus ou moins répercutée sur Wikipédia, dans l'article « Affaire Woerth-Bettencourt », sans précaution et sans vérification minimale, dans les termes suivants :
La société des journalistes du Figaro parlent à propos d'un article publié dans leur journal de « PV tronqué, assorti d'un article non signé, qui participait à l'évidence de la stratégie de communication de l'Elysée », et de témoignage de l'ancienne comptable « orienté » « pour lui faire dire autre chose que ce qu'elle voulait dire ».
Certes, l'erreur est plus ou mois atténuée par rapport à l'erreur initiale trouvée sur le site @rrêt sur images, puisque le rédacteur wikipédien ne dit pas explicitement que Le Figaro aurait publié un témoignage orienté de Claire Thibout, ni qu'il lui aurait fait dire autre chose que ce qu'elle voulait dire. Mais c'est sous-entendu, surtout lorsque cet ajout est suivi d'une référence à la brêve du site @rrêt sur images.

Plutôt que de m'énerver, je crois plus utile de montrer l'erreur, et de renvoyer à la conclusion de mon, billet du 19 juillet, « Du danger de vouloir « couvrir » trop vite l'actualité » : « Tout cela pour dire qu'on peut être habitué à lire abondamment les médias et, par inattention, laisser passer de grossières erreurs, et que, dans certains cas, cela peut avoir des conséquences gênantes... »