lundi 19 juillet 2010

Du danger de vouloir « couvrir » trop vite l'actualité

On en trouvera un exemple dans l'article Françoise Bettencourt-Meyers, pour la rédaction duquel une lecture hâtive et inattentive de la presse a fait écrire à une contributrice, le 22 juin dernier, que Liliane Bettencourt aurait « porté plainte contre sa fille », ce qui n'est évidemment pas le cas, l'article servant de source, sur le site LeParisien.fr, ne disant absolument pas une telle chose.

Les seules choses assurées, et notablement différentes, sont les suivantes :
  • la milliardaire a d'un côté déposé une plainte officielle, le 18 juin(1), pour « atteinte à la vie privée », « vol » et « faux témoignages », bien que les médias aient annoncé cette plainte deux jours auparavant
  • seules des personnes autres que Françoise Bettencourt-Meyers ont été gardées à vue dans cette affaire, dès le 16 juin, ce qui n'aurait probablement pas été le cas si la fille de la milliardaire avait été nommée dans la plainte,
  • enfin Liliane Bettencourt, par la voix de son avocat Georges Kiejman, a fait savoir, trois jours après les révélations de Mediapart et au lendemain de son dépôt de plainte, qu'elle considérait sa fille et l'avocat de celle-ci, Olivier Metzner, comme les « instigateurs » de l’« espionnage » dont elle a été la cible.

Ce n'est pas du tout la même chose, et bien évidemment il était urgent de rectifier cette assertion erronée, qui aura quand subsisté près d'un mois dans l'article (dont six jours depuis que j'ai commencé à m'intéresser de plus près à celui-ci, mea culpa).

On pourrait croire que ce type d'erreur est inhérent à notre époque de zapping et de bombardement continuel d'informations diverses contre nos cerveaux, sans parler des âneries et incohérences que l'on peut puiser dans nos sources d'information, mais on pourra trouver dans la relecture d'Agatha Christie, à l'occasion, des petits extraits tendant à prouver que la nature humaine est toujours et partout la même.

Premier exemple dans le roman Les Pendules, paru en novembre 1963, lors de la conférence finale qu'affectionne Hercule Poirot pour dévoiler la clé du mystère. Le détective belge se laisse aller à nous montrer la piètre estime qu'il porte aux journalistes :
« On ne saurait résoudre une affaire du fond de son fauteuil en ne se fiant qu'à la seule lecture des journaux. Car les faits dont on dispose doivent être exacts, or les journaux brillent rarement — si toutefois ils le font jamais — par l'exactitude de leurs renseignements. Ils sont capables de vous rapporter qu'un événement a eu lieu à 4 heures de l'après-midi alors qu'il s'est produit à 4 heures et quart, ils impriment sans sourciller qu'Untel avait une sœur qui s'appelait Elizabeth alors qu'il s'agissait de sa belle-sœur et qu'elle se prénommait Alexandra. J'en passe et des meilleures. »

Juste un an auparavant, sa consœur anglaise, Miss Marple, dans le roman Le miroir se brisa, paru en novembre 1962, avait également choisi sa propre scène d'explications finales pour pointer du doigt le danger des témoignages imprécis :
« Et tout cela mis bout à bout explique que ce mot de rubéole n'ait pas frappé les témoins. Mrs Bantry, par exemple, s'est contenté de signaler que Heather Badcock était au lit avec une maladie quelconque et, poussée dans ses retranchements, a mentionné la varicelle et la crise d'urticaire. Mr Rudd ici présent a dit pour sa part qu'il s'agissait de la grippe, mais il va de soi qu'il mentait sciemment. Tout me porte à croire que ce que Heather Badcock a déclaré à Marina Gregg c'est qu'elle avait à l'époque la rubéole et était néanmoins sortie de son lit pour aller lui demander un autographe. Or c'est la réponse à toutes nos interrogations car, voyez-vous, la rubéole est extrêment contagieuse. »

Si nous revenons à la conférence finale des Pendules, Hercule Poirot nous y livre un de ses secrets : la collecte d'informations les plus exactes possibles, fût-ce par le biais d'un asistant compétent, ici assimilé de manière humoristique à un « chien », qui permet à son « maître », en lui rapportant fidèlement le « bâton&nbssp;» des faits précis, de jouer pleinement son rôle de détective en fauteuil, à des dizaines de kilomètres du théâtre des événements :
« Mais je tiens en la personne de Colin ici présent un chien tout à fait remarquable... et que ses qualités ont d'ailleurs conduit très loin dans sa carrière personnelle. Il a toujours eu une mémoire étonnante. Il peut vous répéter mot pour mot des conversations qui ont eu lieu plusieurs jours auparavant. Il vous les rapporte avec précision — sans les transposer, comme cela nous arrive à tous, en fonction de leurs conséquences immédiates ou des sentiments qu'elles lui ont inspirées. Pour vous en donner un exemple, il ne vous dira jamais « Le courrier est arrivé à 11 h 20 » mais il rapportera les faits, à savoir qu'on a frappé à la porte et que quelqu'un est entré portant des lettres à la amin. Tout ceci est d'une importance extrême. Cela signifie qu'il a entendu ce que j'aurais moi-même entendu et vu ce que j'aurais vu moi-même. »

Au-delà des méthodes du détective en fauteuil, on se plaît souvent à rêver à ce que pourrait être un journaliste en fauteuil, voire un encyclopédiste en fauteuil. Hélas, bien que le sourçage se soit sensiblement amélioré depuis les débuts de Wikipédia en 2001, jusqu'à y voir apparaître des gens qui se prétendent « ayatollahs du sourçage » et, plus sérieusement, des pages de recommandations telles que « Wikipédia:Citez vos sources » et « Wikipédia:Article bien sourcé », force est de constater que le sourçage de qualité reste, sur Wikipédia, un long, long chemin...

Tout cela pour dire qu'on peut être habitué à lire abondamment les médias et, par inattention, laisser passer de grossières erreurs, et que, dans certains cas, cela peut avoir des conséquences gênantes...

Notes :

(1) Il est curieux de constater, au passage, le faible nombre de gens qui relèvent que les gardes à vue du 16 juin 2010, pour Pascal Bonnefoy et autres, ont précédé de deux jours les plaintes officielles déposées par Liliane Bettencourt et François-Marie Banier le 18 juin, tandis que nombre de médias, dès le 16 juin, parlaient de la plainte de la milliardaire comme si elle était un fait tangible...

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