samedi 11 décembre 2010

WikiLeaks : un soutien raisonné et mesuré

« Quiconque » s'intéresse à l'actualité sans avaler toute crue la bouillie prédigérée servie par les « grands » médias, au premier rang desquels l'abomination télévisuelle, a entendu parler de WikiLeaks, et ne prend pas pour argent comptant les fariboles sur le caractère prétendument « criminel » de l'action de ce site et de ceux qui le font vivre.

Cela ne signifie pas, évidemment, qu'il faille soutenir aveuglément WikiLeaks, ni fermer les yeux sur les possibles erreurs de son porte-parole, Julian Assange, dans sa vie personnelle. Pour autant, il est difficile de gober les fadaises sur les dangers que ferait courir, à travers le monde, les révélations échelonnées de WikiLeaks, lorsque des publications ayant pignon sur rue, voire « prestigieuses  » pour certaines d'entre elles, font le choix de collaborer étroitement avec WikiLeaks pour exploiter de manière responsable la matière considérable des cables diplomatiques tombés entre les mains de WikiLeaks.

The New York Times (États-Unis), The Guardian (Royaume-Uni), Der Spiegel (Allemagne), Le Monde (France) et El País (Espagne), ne se sont jamais signalés — même si certains d'entre eux ont une sensibilité « libérale » (au sens américain du terme) ou « de gauche » — par un quelconque caractère boute-feu et semeur de zizanie. Certains d'entre eux ont même, à tort ou à raison, une certaine réputation de modération, de réflexion et de respectabilité.

La recherche historique viendra sans doute révéler, un jour, comment furent conduites les négociations entre WikiLeaks et les cinq publications, et quelles modalités communes furent adoptées pour le dépouillement, l'étude et l'exploitation raisonnées de la matière contenues dans les 250 000 télégrammes diplomatiques.

Pour avoir littéralement « dévoré » tout ce qui m'est tombé sous la main, en matière de presse française sur le sujet, depuis le 28 novembre, je ne peux qu'être pleinement d'accord avec une Sylvie Kauffmann, directeur de la rédaction du Monde, lorsqu'elle explique, dans le numéro daté du 30 novembre, que, « à partir du moment où cette masse de documents a été transmise, même illégalement, à WikiLeaks, et qu'elle risque donc de tomber à tout instant dans le domaine public, Le Monde a considéré qu'il relevait de sa mission de prendre connaissance de ces documents, d'en faire une analyse journalistique, et de la mettre à la disposition de ses lecteurs ». Tout comme je l'approuve lorsqu'elle dit que « transparence et discernement ne sont pas incompatibles » et que, selon ses vues, « informer (...) n'interdit pas d'agir avec responsabilité », ce qui a conduit les quatre quotidiens et l'hebdomadaire à soigneusement éditer « les textes bruts utilisés afin d'en retirer tous les noms et indices dont la divulgation pourrait entraîner des risques pour des personnes physiques ».

À la lumière de l'avalanche de réactions suscitées par le « Cablegate », Sylvie Kauffmann est venue donner quelques éclairages supplémentaires un peu plus tard, dans le numéro daté du 7 décembre. Une bonne partie de son propos est alors réservé à la réfutation d'idées reçues — la prétendue mise en danger de personnes, par exemple — et contre-vérités — le « vol » de documents par WikiLeaks ou leur acquisition contre rétribution —, mais le plus intéressant vient à la fin de son article, lorsqu'elle indique que « pour l'historien comme pour le citoyen, c'est un trésor qu'il n'aura pas à attendre vingt ou trente ans, avant l'ouverture des archives » et enfin lorsqu'elle s'efforce, en conclusion, de mettre l'accent sur une vision ambitieuse du journalisme, dont la mission pourrait consister, selon elle, à « replacer cette masse d'informations dans leur contexte, à l'analyser, à enquêter sur des points restés troubles ou incomplets, à scruter les évolutions que provoqueraient certaines révélations », qui viendrait presque nous faire croire à une aspiration « scientifique » un peu inhabituelle dans la démarche du journaliste.

Aussi ai-je été heureusement surpris en voyant aujourd'hui que, face à l'ahurissant complot mondial anti-WikiLeaks, un quotidien comme Libération, qui avait publié au début de la distillation au compte-gouttes des télégrammes, quelques tribunes assez hostiles à la démarche de WikiLeaks, s'était décidé à héberger un miroir de WikiLeaks sur les serveurs de Libération, à l'image des centaines d'autres miroirs qui ont fleuri depuis que se sont manifestées les velléités de faire taire les gêneurs. Tout comme j'ai été satisfait de lire, ce samedi 11 décembre, en première page du quotidien, l'explication selon laquelle, en servant de relais à WikiLeaks, le quotidien souhaite « empêcher l'asphyxie du site WikiLeaks à l'heure où des gouvernements et des entreprises cherchent à bloquer son fonctionnement sans même une décision de justice ».

On ne s'étonnera donc pas, après de telles approbations de ma part, que je réprouve le plus vivement possible l'attitude d'un Joe Libermann, d'un Éric Besson, d'une Michèle Alloit-Marie, d'un François Baroin, et des firmes Amazon, PayPal, EveryDNS, etc., tous alignés, peu ou prou, sur la position de la superpuissance américaine et, volontairement ou pas, parties prenantes du complot visant à baillonner WikiLeaks.

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