lundi 18 juillet 2011

Démission « chez » Scotland Yard

Le quotidien France Soir publie ce lundi, sur le site web qui lui est lié, un article, signé « Actu France Soir », titré « Scandale des écoutes : Une nouvelle démission chez Scotland Yard ».

Je suis un peu surpris, car on ne lirait pas, en cas de démission d'un membre du gouvernement français, « Démission chez le gouvernement français » ou, en cas de suicide d'un proche conseiller du président de la République — c'est arrivé, souvenons-nous de François de Grossouvre en 1994 —, « Suicide chez l'Élysée ».

La préposition, qui implique une relation « à l'intérieur de », est en temps ordinaire employée conjointement avec un nom de personne physique — « Le fauteuil en chintz aperçu chez ma tante Ursule », « chez [tel auteur], la tendance à l'auto-glorification n'est pas négligeable » — ou morale — « le jeu de chaises musicales chez Bouygues » —, mais aussi avec le nom d'une communauté humaine — « va te faire voir chez les Grecs », « chez les musulmans, il n'est pas d'usage de boire de l'alcool ».

Certes, le TLFi rapporte, chez Marcel Proust, dans son cycle romanesque À la recherche du temps perdu, un exemple d'utilisation erronée, par un locuteur français étranger, de cette préposition avec un nom de lieu — « Mais je dois faire observer à Madame que, si je me suis permis ce questionnaire – pardon, ce questation – c’est que je dois retourner demain à Paris pour dîner chez la Tour d’Argent ou chez l’Hôtel Meurice. » —, utilisation qui, aujourd'hui, peut nous paraître curieuse à l'oreille, tout comme elle a dû amuser des générations de lecteurs de Sodome et Gomorrhe, d'autant que les autres emplois proustiens de la préposition semblent beaucoup plus orthodoxes.

Notons que personne ne se choque si l'on écrit que les membres de l'Académie Goncourt décernent leur prix à l'issue d'un déjeuner chez Drouant ou si l'on rapporte que telle personnalité dîne trois fois par semaine chez Lasserre, les noms de ces deux tables célèbres étant alors considérés comme des noms de personnes morales, alors qu'on n'éprouve pas ce sentiment avec la Tour d'Argent et l'Hôtel Meurice.

Pour en revenir à France Soir, on peut signaler que Scotland Yard n'est pas une personne morale, mais plutôt un lieu, celui du siège — New Scotland Yard aujourd'hui — du Metropolitan Police Service de Londres, et que si une idée de communauté peut éventuellement apparaître en la matière, il semble qu'elle doive s'attacher au service lui-même, pas au lieu de résidence.

Cela dit, rien n'est simple. Il est des institutions — la présidence de la République, l'Académie française — qui peuvent d'une certaine manière être plus ou moins considérées comme des personnes morales ou des communautés humaines, mais auxquelles on imaginerait assez mal d'accoler la préposition chez. « Chez la présidence de la République » ou « chez l'Académie française » agaceront l'oreille, tandis que « chez les employés de la présidence de la République » ou « chez les membres de l'Académie française » sont un emploi qui ne choquera personne.

Il me semble donc, à titre strictement personnel, qu'un titre comme « Scandale des écoutes : Une nouvelle démission à Scotland Yard » aurait été plus naturel, voire beaucoup plus élégant — mais est-on en quête d'élégance de la langue, lorsqu'on lit l'actuel France Soir, probablement très éloigné du grand quotidien vespéral fondé et dirigé par Pierre Lazareff — sauf à vouloir considérer que Scotland Yard serait en quelque sorte une personne morale.

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