Rappelons les termes du premier alinéa de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :
« Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. »
À la place, Éric Woerth a notamment (et en désordre) fait savoir qu'il était « scandalisé », « victime d'une cabale », qu'il était « blessé », que certains faits allégués étaient « faux, archi-faux », qu'il reçoit « des torrents d'insultes et de haine », alors qu'il n'a « rien à [se] reprocher », tandis que les petits soldats de la Sarkozie montent au front pour tenter de colmater les brêches d'une digue qui menace de s'effondrer en noyant beaucoup de monde au passage.Mais on attend toujours, depuis trois semaines, une réaction judiciaire de celui qui, pendant qu'il était ministre du Budget, assumait simultanément les fonctions de trésorier de l'UMP, tandis que son épouse occupait un poste non négligeable dans la société du gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt. Ce qui ne signifie d'ailleurs pas que j'appelle de mes vœux une telle plainte en diffamation, simplement que je m'étonne de son absence, dans un tel contexte.
Tout cela est bien étrange : on croirait à un effet de paralysie. Et la presse française et étrangère ne s'y trompe pas, avec des milliers d'articles consacrés aux divers méandres de ce fleuve que quelques-uns doivent rêver de voir comme une version moderne des fleuves Alphée et Pénée, dont le détournement du cours permit à Héraclès de nettoyer les écuries d'Augias.
Au-delà du cas d'Éric Woerth, on voit par exemple — pour ne citer qu'un seul titre de presse hors de France — la version en ligne de l'hebdomadaire allemand Der Spiegel, dire, en se basant sur diverses dépêches d'agences de presse, que « Nicolas Sarkozy est de plus en plus attiré dans le tourbillon du scandale financier lié à [Lilane] Bettencourt, héritière du groupe L'Oréal » (« Nicolas Sarkozy gerät zunehmend in den Strudel des Finanzskandals um die L'Oréal-Erbin Bettencourt. »).
Sans s'arrêter aux vociférations du clan sarkozyste à l'Assemblée nationale, et de l'étonnante absence de réaction judiciaire d'Éric Woerth, puisque des allégations précises, vraies ou fausses, ont été portées à son encontre, on voit bien que le feuilleton ne semble pas prêt de s'arrêter, avec de nouveaux rebondissements tous les jours ou presque, désormais. Quentin Girard, sur Slate.fr, titrait son article du 6 juillet « L'affaire Bettencourt, la telenovela de l'été », en la qualifiant de « formidable histoire qui va nous tenir en haleine tout l'été », tandis que Julian Sancton, sur la version en ligne du magazine Vanity Fair titrait dans le même temps son article en se demandant si Sarkozy pourrait survivre au scandale Bettencourt (« Can Sarkozy Survive the Bettencourt Scandal? ).
Ajout du 8 juillet vers 16:50 (CEST) : Finalement, quelques heures après la publication de ce billet, Éric Woerth a fini par se résoudre à l'annonce du dépôt d'une plainte en justice, à cette différence que le motif n'est pas la diffamation, mais la dénonciation calomnieuse
« La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende. »
Comme semble le penser une dépêche de l'AFP publiée hier soir, et rapportant des propos de « plusieurs magistrats parisiens », ce délit serait « l'un des plus compliqués à arbitrer » (sauf que l'on n'arbitre pas des délits, mais l'AFP est au-dessus de ce genre de détails...)Tout cela ne nous explique toujours pas pourquoi Éric Woerth n'a pas choisi la voie de la plainte en diffamation, sur le fondement de l'article 29 de la loi de 1881.
2 commentaires:
C'est quand même plus sympa que Secret Story ou les feuilletons de TF1 ou France Télévision...
Bon niveau script c'est presque du déjà vu mais les personnages sont presque attachants.
Il faut comprendre qu'une action en diffamation s'examine assez vite. Si on n'a aucune difficulté pour identifier le "coupable" et que la déclaration a été faite par un organe de presse, on peut même faire une "citation directe" du responsable de la publication du site internet ou de la publication papier.
En revanche une plainte pour dénonciation calomnieuse n'a dans l'immédiat et pour assez lontemps AUCUN EFFET. Ce n'est que de la gesticulation médiatique, pour pouvoir dire j'ai déposé plainte.
En effet une plainte pour "dénonciation calomnieuse" ne s'examine qu'au terme de la procédure principale (entorse au financement d'un parti politique, complicité de blanchiment de fraude fiscale, prise illégale d'intérêt (emploi de Mme Woerth ou autre),...). Parfois quand on ajoute enquête, instruction, procès, appel cela peut beaucoup d'années.
Donc votre remarque est extrêmement judicieuse. Pourquoi Eric Woerth n'a toujours pas déposé plainte pour diffamation, si comme il le répéte à chaque nouvelle révélation: "c'est vraiment n'importe quoi" ?
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