La tribune écrite par Jacques Chirac, titrée « G20 : sauvons aussi les pays pauvres ! », a été publiée le 1er avril 2009 dans les colonnes de Libération.
Marianne la résume (*) ainsi : « [...] un texte fort intéressant menaçant les pays du G20 d'être brutalement sanctionnés par l'histoire, s'ils font « une nouvelle fois l'impasse sur les pays pauvres ». Si le G20 ignore « une nouvelle fois les pays pauvres », c'est qu'il les a ignorés d'autres fois. »
Et Marianne de conclure sa stupide brève par ces phrases : « Or, l'auteur de cet article a participé pendant douze aux réunions du club. Il s'appelle Jacques Chirac. »
Mon propos n'est pas d'aller explorer les contradictions de ce personnage haut en couleurs qu'est Jacques Chirac. Ni de revenir sur les calamités que sa présence continue, de 1967 à 2007, dans les hautes sphères de la politique française, a pu provoquer et continue de provoquer. La roue tourne toujours, et l'histoire finira bien par juger à sa juste valeur les méfaits de l'animal.
En bleu foncé : les 19 pays directement membres du G20 (y compris 4 pays membres de l'Union européenne).
En bleu clair : les 23 pays membres de l'Union européenne, non membres du G20, représentés au sein de celui-ci par la présidence du Conseil de l'Union européenne et la Banque centrale européenne.
- Le Groupe des 20, dit G20, dont la désignation plus formelle est « Group of Twenty Finance Ministers and Central Bank Governors », c'est-à-dire, littéralement, « Groupe de vingt ministres des Finances et gouverneurs de banque centrale », ne réunissait à l'origine, lors de sa création en septembre 1999, et par définition, que les seuls ministres des Finances et directeurs de banques centrales de 19 pays (3), ainsi que, à titre de représentants de l'Union européenne, le ministre des Finances du pays assurant la présidence tournante du Conseil européen (4) et le président de la Banque centrale européenne.
- Ces réunions du niveau « ministériel » ont été au nombre de onze, depuis décembre 1999, les deux dernières ayant eu lieu :
- à São Paulo, les 8 et 9 novembre 2008 [en], pour préparer le sommet de Washington, la semaine suivante ;
- à Londres, le 14 mars 2009 [en], pour préparer le sommet de Londres, un peu plus de deux semaines plus tard.
- Indépendamment de ces réunions au niveau « ministériel » se sont mis en place, depuis 2008, des sommets de chefs d'État ou de gouvernement des pays ou groupes de pays concernés. Ces sommets sont formellement désignés comme « G-20 Leaders' Summit on Financial Markets and the World Economy », c'est-à-dire « Sommet des dirigeants du G20 sur les marchés financiers et l'économie mondiale ». Il n'y en a eu que deux jusqu'à présent :
- celui de Washington, les 14 et 15 novembre 2008 [en],
- puis celui de Londres, le 2 avril 2009.
- Jacques Chirac, ayant exercé les fonctions de président de la République française de mai 1995 à mai 2007, et n'ayant par ailleurs jamais exercé les fonctions de ministre des Finances, ni celles de directeur de la Banque de France, n'a donc jamais pu participer à une des douze réunions du « G-20 ministériel », depuis 1999, ni aux sommets de chefs d'État ou de gouvernement du G20, depuis 2008.
Et, s'il avait à l'évidence la tutelle, entre décembre 1999 et novembre 2006, des ministres des Finances et gouverneurs de la Banque de France successifs, et aurait donc partagé la responsabilité de l'impasse qui, selon ses propres termes, aurait été faite, durant cette période, sur les pays pauvres, on voit difficilement comment on pourrait, formellement, lui reprocher sa participation, pendant « douze ans » (5), aux réunions du club, réunions auxquelles il n'a jamais participé... - Complément (5 avril vers 20:10 CEST) : les seules réunions du type Gx auxquelles Chirac a pu participer sont les 4 sommets du G7, de juin 1995 à juin 1997, puis les 9 sommets du G8, de mai 1998 à juillet 2006. Si un journaliste n'est pas capable de faire la distinction entre une instance qui réunit des chefs d'État ou de gouvernement (G7 puis G8) et une autre instance (G20) qui réunit des responsables dont le niveau ne dépasse pas celui des ministres des Finances et gouverneurs de banques centrales, il démontre qu'il n'a rien à faire à la place où il se trouve, puisqu'il insuffle, dans la tête de ses lecteurs, des choses qui sont fausses, et fait donc œuvre de désinformation.
(0) Marianne no 624, Du 4 au 10 avril 2009, page 26.
(1) N'importe quelle personne ayant un minimum de culture générale saurait que l'on désigne pas sous le nom de « texte » ce genre d'intervention dans la presse écrite d'une personnalité qui ne fait pas partie du sérail journalistique ni, a fortiori, de la rédaction de la publication concernée, mais que l'on appelle cela, habituellement, une tribune libre.
(2) Je ne parviens plus à me souvenir si, à l'origine, cette délicieuse expression est apparue dans les colonnes de l'hebdomadaire Rivarol ou dans celles du quotidien Présent.
(3) Liste des 19 pays membres du G20 : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Brésil, Canada, république populaire de Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie et Turquie.
(4) Le ministre des Finances représentant l'Union européenne peut, en fonction de la rotation exercée par ailleurs dans la présidence du Conseil européen tous les six mois, être celui d'un des quatre pays membres de l'Union membres du G20 (Allemagne, France, Italie et Royaume-Uni).
(5) Noter pour finir le sens de l'arithmétique douteux de la brève de Marianne, puisque la durée séparant, dutant les mandats successifs de Jacques Chirac, le premier G20 ministériel (novembre 1999) du dernier (novembre 2006), est seulement de sept ans, et non de douze.
(*) La reproduction, dans le cadre de ce billet de blog, de la quasi-intégralité de la brève parue dans les colonnes de Marianne respecte les dispositions prévues, en France, par le Code de la propriété intellectuelle, qui prévoit, dans son article L122-5, que « Lorsque l'œuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire : [...] 3º Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source : a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'œuvre à laquelle elles sont incorporées ».
4 commentaires:
Es-tu certain que Chirac n'a jamais participé à un Gx ?
Voir http://tf1.lci.fr/infos/monde/institutions/0,,3489490,00-quand-chirac-ronflait-.html par exemple.
La brève de Marianne, visiblement, commente la tribune de Chirac consacrée au G20 qui (jusqu'aux sommets des leaders depuis novembre 2008), ne concernait que le niveau des ministres des Finances et gouverneurs de banques centrales.
Le commentaire de Marianne est donc dénué de pertinence, puis que Chirac, dans sa tribune, parlait du G20 et pas du tout de l'instance, plus réduite, de chefs d'État ou de gouvernement des sept puis huit pays « parmi les plus puissants économiquement du monde », instance aux réunions de laquelle, par contre, lui-même a participé : 4 sommets du G7 de juin 1995 à juin 1997, puis 9 sommets du G8 de mai 1998 à juillet 2006 (Sarko ayant pris le relais en juin 2007 pour le 33e sommet à Heiligendamm en Allemagne).
On peut sans doute parler d'imprécision de la part du plumitif mais l'on peut aussi penser qu'il veut simplement dire que Chirac a été aux affaires et n'a donc aucune leçon à faire à ceux qui sont toujours aux commandes sauf à se faire lui-même la leçon.
On se souviendra longtemps de : "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs". Cela pourrait donner aujourd'hui dans la bouche du retraité : "Les maisons des pauvres s'effondrent et nous regardons la banque".
Il n'empêche que le journaliste a cédé à la facilité,
Rappelons que la Charte des devoirs professionnels des journalistes français énonce notamment qu'« un journaliste digne de ce nom [...] tient la calomnie, les accusations sans preuves, l’altération des documents, la déformation des faits, le mensonge pour les plus graves fautes professionnelles », cf. http://www.snj.fr/article.php3?id_article=65 ;
tandis que la « Déclaration des devoirs et des droits des journalistes » énonce que « Les devoirs essentiels du journaliste, dans la recherche, la rédaction et le commentaire des événements, sont : 1) respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître ; [...] », cf. http://www.snj.fr/article.php3?id_article=66 ;
et enfin que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, dans une résolution certes non contraignante, adoptée le 1er juillet 1993, et relative à l'éthique du journalisme, estimait dans son point 4 que « les nouvelles doivent être diffusées en respectant le principe de véracité, après avoir fait l'objet des vérifications de rigueur, et doivent être exposées, décrites et présentées avec impartialité. Il ne faut pas confondre informations et rumeurs. Les titres et les énoncés d'informations doivent être l'expression le plus fidèle possible du contenu des faits et des données », cf. http://assembly.coe.int//MainF.asp?link=http://assembly.coe.int/Documents/AdoptedText/ta93/fres1003.htm
toutes choses qui, je te l'accorde, sont foulées au pied cent fois par jour par nombre de journalistes français, ou simplement superbement ignorées par les mêmes.
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