Portrait de l'Inspecteur Derrick, incarné par Horst Tappert.
Image originale sous licence Free Art License 1.3 [en].
© Jean-Noël Lafargue (Jean-no)
Non, je ne suis pas ici pour verser des larmes de crocodile, comme on en voit quelques torrents dans les merdiats, à l'occasion de la disparition, samedi 13 décembre, de l'acteur allemand Horst Tappert, mort à l'âge de 85 ans, chose qui arrive à tout le monde... Loin de moi aussi l'idée de me réjouir de cette disparition, puisque je n'avais rien contre cette personne.
Il y a par contre plusieurs choses qui m'agacent souverainement, dans la façon dont les merdiats se sont précipités pour rapporter la mort de Horst Tappert.
En premier lieu, il y a ce concert subit de louanges, alors que, du vivant de Horst Tappert, on ne comptait plus, en France tout au moins, les articles ou billets se moquant avec condescendance de la série Inspecteur Derrick, évoquant par exemple la lenteur de son action, voire son côté soporifique.
Lequel côté supposé soporifique pouvait fort bien s'expliquer, en France, par le choix de l'heure des rediffusions sur France 3 en début d'après-midi, heure à laquelle de nombreux retraités s'affalent pour digérer tranquillement, après leur repas de midi, devant leur poste de télévision. J'en ai connu quelques-uns comme cela, qui s'assoupissaient immanquablement pendant la diffusion d'un des épisodes de la série, et cela n'était absolument pas imputable à celle-ci, mais tout simplement à la prédisposition de ces personnes à une sieste réparatrice après déjeuner. Notons que je connais d'autres « seniors » qui préfèrent, pour la sieste digestive, s'assoupir devant le spectacle pourtant captivant des Feux de l'amour, sur une chaîne concurrente, et ce alors que je n'ai jamais entendu parler du côté soporifique de ce feuilleton, aussi nullissime et décervelant puisse-t-il être sous d'autres aspects...
Au passage, cette popularité de la série chez les retraités a évidemment inspiré, en 1993, les scénaristes du film Les Visiteurs 2 : les Couloirs du temps, dans la courte scène où le personnage de Jacquouille fait irruption dans la salon de télévision du château de Montmirail, transformé en hôtel de luxe, salon dans lequel se trouvent deux vieilles dames dont l'une dit à l'autre : « Il est TOUjours bien coiffé, ce Derrick... », et ce juste avant que Jacquouille ne tende à l'une des vieilles dames un saladier rempli de mousse au chocolat en lui disant : « Tiens ça, vilaine ! ».
Toujours aux chapitres des louanges excessives, on a vu aussi Lejdd.fr oser parler, dans son article de ce lundi, du « drame national » que constituerait, en Allemagne, la disparition d'un acteur qui avait cessé, depuis dix ans et après 24 ans de bons et loyaux services, d'incarner le personnage qui lui avait apporté une renommée bien au-delà des frontières allemandes. Manifestement, le sens des proportions échappe à Gaël Vaillant, rédacteur de l'article.
En second lieu, il y a cette horripilante manie qu'ont certains merdiats, de mélanger le personnage et l'acteur qui l'incarnait. Lefigaro.fr, par exemple, sous la plume d'Isabelle Nataf, qui titre un de ses articles sur le sujet « L'inspecteur Derrick est mort à l'âge de 85 ans ». Ou encore tsr.ch qui prétend que « L'inspecteur Derrick est décédé ». Sans parler évidemment de la calamiteuse Agence France-Presse, qui titre sa dépêche « L'"Inspecteur Derrick" est mort à 85 ans » (en aggravant son cas, dans le texte, avec un « série télévisée éponyme », alors que c'est au contraire le personnage qui est éponyme de la série...), et alors que plusieurs dépêches AFP comparables, dans d'autres langues, sont mieux titrées :
- en anglais : « Inspector Derrick actor dies in Germany » ;
- en portugais : « Morreu o ator alemão Horst Tappert » ;
- en allemand : « "Derrick"-Darsteller Horst Tappert ist tot » ;
- la dépêche en espagnol recourant quant à elle à un titre également contestable : « Muere el 'Inspector Derrick' a los 85 años de edad ».
Le pompon revient, comme il est bien naturel, à un fleuron de la presse de caniveau, Voici.fr, dépendant de l'hebdomadaire Voici, qui, dans une dépêche indépendante de celle par laquelle il avait relayé l'annonce de la mort de Horst Tappert, titre sans rire une autre dépêche « Mort de Derrick : l’hommage de Navarro » pour énoncer la réaction de l'acteur Roger Hanin, interprète du personnage du commissaire Navarro, à l'annonce de la disparition de l'acteur Horst Tappert, interprète du personnage de l'inspecteur Derrick. Leur dépêche sur la réaction de « Navarro » se termine d'ailleurs par une phrase grotesque : « On attend sous peu les réactions de Julie Lescaut, du commissaire Moulin et des Cordier… », là où, en réalité, il devrait être question des acteurs Véronique Genest (Lescaut), Yves Rénier (Moulin) et Pierre Mondy (l'aîné des Cordier).
Ce travers de remplacement, dans les merdiats, du nom de l'acteur par celui de son personnage vedette, pour désigner des péripéties de la vie de l'acteur, est devenu archi-courant depuis quelques années. On pourrait par exemple remplir des pages entières de listes de couverture de magazines télé où l'on annonce le mariage ou le divorce de tel ou tel personnage alors que, en fait, c'est l'acteur qui s'est marié ou a divorcé... Il serait intéressant de vérifier si les merdiats, dans d'autres langues, cèdent à cette facilité abusive qui, même si l'on n'y prend pas garde, introduit un peu plus de confusion dans des esprits qui sont déjà bien chamboulés par le matraquage et le décervelage véhiculés par la télévision depuis plusieurs décennies.
2 commentaires:
"se sont précipité" -> précipités
"qui vait cessé" -> avait
"décervelage véhicuculés" -> véhiculés
@ DC : merci, c'est corrigé.
Enregistrer un commentaire