dimanche 31 octobre 2010

L'AFP et le sens des proportions dans la présidentielle au Brésil

Dans une dépêche titrée « Présidentielle au Brésil: Dilma Rousseff "confiante" dans sa victoire » — telle que rapportée par le site LePoint.fr —, l'Agence France-Presse nous indique que Dilma Rousseff aurait « manqué de peu la victoire au premier tour », lorsqu'elle avait obtenu 47 % des suffrages exprimés, contre 33 % à son rival.

Tout cela est bien approximatif, mais est-ce franchement étonnant avec l'AFP ? Toujours est-il que cette dépêche est déplorable par au moins deux aspects :
  • on peut se demander, par exemple, si l'auteur de la dépêche a seulement pris la peine de consulter les résultats du premier tour de scrutin intervenu le 3 octobre. Cela lui aurait en effet permis de constater que la majorité absolue, ce jour-là, était aux environs de 50 795 077 voix et que, Dilma Rousseff ayant obtenu environ 47 651 434 voix, il est pour le moins abusif d'alléguer qu'elle aurait « manqué de peu la victoire au premier tour », alors qu'il lui avait manqué plus de trois millions de voix pour atteindre la majorité absolue (que la plupart des médias, avec une unanimité grotesque, lui avait pourtant prédite) ;
  • enfin, elle trouve le moyen d'évacuer l'existence, au premier tour — même si le sujet du jour est le second tour, où ne concourrent plus que les deux candidats arrivés en tête le 3 octobre —, d'une candidature non négligeable, à savoir celle de Marina Silva, soutenue par le Partido Verde, et qui avait obtenu plus de 19,6 millions de voix, représentant environ 19,33 % des suffrages exprimés. Souvenons-nous par exemple que le 6 mai 2007, lorsque l'élection présidentielle française avait opposé, au second tour, Nicolas Sarkozy à Ségolène Royal, la quasi-totalité des médias, dans leurs articles de « dernière minute », rappelaient l'existence du « troisième homme », à savoir François Bayrou, dans le scrutin du 22 avril précédent.
Cela dit, tout n'est pas négatif dans cette dépêche : on remarquera par exemple que, par rapport à ce qu'on a pu voir ici ou là sur la « dauphine de Lula », la rédaction s'efforce de maintenir un certain équilibre dans la présentation des deux candidats en lice, sans montrer une préférence trop flagrante, même si on devine un certain préjugé favorable à « Dilma ».

samedi 16 octobre 2010

Les « violences morales » dans le feuilleton Bettencourt

On apprend aujourd'hui, de la bouche de Maître Pascal Wilhelm, un des avocats de Liliane Bettencourt, que celle-ci envisagerait de déposer, en début de semaine prochaine, une plainte contre sa fille Françoise Bettencourt Meters, pour « violences morales ». Cette plainte annoncée venant en quelque sorte remplacer la velléité antérieure de révocation de la donation consentie par la milliardaire de la nue-propriété de 180 millions d'actions de L'Oréal, révocation qu'un autre des avocats de la milliardaire, Maître Georges Kiejman, annonçait à l'époque comme motivée par une supposée « ingratitude » de la donataire (FMB).

S'exprimant au micro de la radio Europe 1, Maître Wilhelm nous explique que les violences morales seraient « une forme de délit très récente qui s'assimile aux violences physiques sauf qu'il s'agit de violences psychologiques essentiellement ».

La chose titille d'autant plus la curiosité qu'aucun détail ne nous est fourni sur les textes réprimant ledit délit. En cherchant, on trouve bien des dispositions pénales réprimant le harcèlement moral, dans le monde du travail, mais ces dispositions sont déjà anciennes, et ne sauraient s'appliquer au conflit opposant la mère et la fille dans l'affaire Bettencourt.

Plus récemment, on finit par dénicher la proposition de loi n° 2121, ennregistrés à la présidence de l’Assemblée nationale le 27 novembre 2009, présentée par Danielle Bousquet, renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression
des violences faites aux femmes. Cette proposition de loi a abouti à la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, loi qui, par son article 31, a abouti à la création, dans le Code pénal français, d'un article 222-14-3 rédigé ainsi : « Les violences prévues par les dispositions de la présente section sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s'il s'agit de violences psychologiques. »

Fort bien. Reste que nous sommes toujours dans l'effet d'annonce, là, et Dieu sait que cette affaire à ramifications multiples n'en a pas manqué et n'en manquera pas encore. Et que le caractère effectif des supposées violences psychologiques qu'aurait exercé la fille sur la mère, avec ses trois demandes de mise sous tutelle, reste soumis à l'appréciation de la justice, en unique ressort. Les observateurs extérieurs, par ailleurs, ne sont pas obligés d'être convaincus par les explications de l'avocat, selon lequel la précédente riposte annoncée — la révocation de la donation — a été provisoirement abandonnée en raison d'un risque de déstabilisation du groupe L'Oréal...

Beaucoup de gens semblent naviguer à vue, dans ce feuilleton. Ce qui est étonnant, c'est qu'il n'y ait pas encore de livre, de site Web, que sais-je encore, répertoriant scrupuleusement toutes les péripéties, les compte-rendus publiés dans la presse, etc. La matière est en effet énorme, si j'en juge par mes propres archives sur le sujet (et elles sont très incomplètes...)

vendredi 15 octobre 2010

« Mon journal offert » : dérisoire, mesquin et malsain

Tout est dans le titre. Pour la deuxième « saison » consécutive, le ministère français de la Culture et de la Communication participe, aux côtés de 62 journaux quotidiens, à une opération de prétendue valorisation de la presse quotidienne, via l'offre de 200 000 abonnements d'un an à un quotidien de son choix, une fois par semaine, aux jeunes de 18 à 24 ans résidant en France.

La chose est censée traduire en actes la conclusion des états généraux de la presse écrite, le 23 janvier 2009, à l'issue desquels le président de la République avait retenu la proposition suivante : « Permettre à tout jeune de 18 ans de bénéficier, l’année de sa citoyenneté, d’un abonnement gratuit à un quotidien de son choix ».

Dérisoire ? Oui, parce que n'importe quel internaute — et pas seulement les jeunes majeurs à l'orée de leur citoyenneté — est techniquement en mesure, via certains forums de partage de fichiers, d'accéder rapidement et tout aussi gratuitement à des copies — certes illicites, mais sans le moindre risque personnel, puisque il n'y a pas recours aux protocoles de peer-to-peer — à des dizaines de quotidiens, hebdomadaires, bimensuels, mensuels, etc. en langue française, ainsi qu'à de nombreux ancien snuméros.

Mesquin ? Oui, puisqu'on appâte inutilement le chaland avec une proposition qui ne tient pas ses promesses. « Permettre à tout jeune de 18 ans de bénéficier, l’année de sa citoyenneté, d’un abonnement gratuit à un quotidien de son choix » laissait à penser au lecteur que l'abonnement promis serait un abonnement de plein exercice, et pas un abonnement limité à un numéro par semaine (le jour, fixe, étant de surcroît choisi par le staff du quotidien choisi) et que seules les 200 000 premières inscriptions sur le site Mon journal offert seront prises en compte.

Malsain ? Oui, pour toutes les raisons déjà indiquées ci-dessus. Mais aussi parce que les responsables politiques impliqués dans cette farce grotesque essaient de donner l'impression qu'ils s'intéressent aux jeunes, à leurs aspirations, à leurs espérances, etc., quand, da,s le même temps, ils ne tiennent absolument pas pas compte du fait que des centaines de milliers de ces jeunes n'hésitent pas à braver la loi en allant télécharger, via les protocoles peer-to-peer ou les sites de téléchargement direct, les musiques, films, séries télévisées, livres, logiciels, etc., adaptant au passage leur comportement aux coups de mentons hadopiesques et abandonnant en masse Emule et les logiciels de Torrent pour se reporter sur les sites de téléchargement direct, là où leurs activités de leechers et de seeders seront moins visibles des rapaces des majors et de leurs sbires politiciens.

Quel gâchis, au passage, si l'on songe que les socialistes, quant à eux, ont depuis longtemps pris en compte la donne liée aux habitudes de prétendu piratage — le partage de fichiers sur Internet — et ont proposé un système de financement et de rétribution des auteurs via une taxation des abonnements Internet. Personne n'est jamais venu prouver que leur proposition n'est pas viable. Alors que tout a déjà démontré, et viendra encore démontrer, que les âneries répressives « à la Hadopi » ne résoudront strictement rien, coûteront cher au contribuable et n'éradiqueront absolument pas les habitudes de partage des internautes.

Il faudrait un Hercule contemporain pour nettoyer les écuries d'Augias de cette classe politique qui ne comprend rien à rien. Que ce soit dans ce domaine ou dans d'autres qui défraient la chronique.